Interview - Bernard Maillot


La société Savarez, spécialisée dans la fabrication de cordes pour instruments de musique, est mécène du Festival de Toulouse depuis sa deuxième édition. Nous avons eu le plaisir d’échanger avec son Président, Bernard Maillot, à propos du savoir-faire unique de cette entreprise familiale et de son engagement en faveur de la musique.

Bernard Maillot

Monsieur Maillot, vous êtes Président de la société Savarez, pourriez-vous nous présenter cette fonction ?

À cette question j'aime répondre je suis Président parce qu'il en faut bien un. Et s'il en faut un on peut supposer qu'il doit assumer fonctions et responsabilités. Au cours d’un parcours professionnel très diversifié il m'a été donné d'acquérir expériences et connaissances variées que j'utilise au quotidien. Cursus qui va d'un côté scientifique orienté sur les phénomènes vibratoires et l'électronique jusqu'à la finance et la gestion, complété par une expérience bancaire. Cela permet de comprendre les problèmes posés dans tous les domaines et d'assumer la fonction essentielle que je considère être : participer à la prise de décisions et en assumer l'entière responsabilité.

Mais il reste le plus important : agir avec une équipe très compétente en lui transmettant toutes les connaissances musicales, techniques, technologiques, pour lui permettre de gérer avec un maximum d'autonomie ses fonctions : définitions des stratégies, (positionnement en qualité, choix des directions de recherche et de technologies d'avant-garde, la mise au point de produits nouveaux en collaboration avec les musiciens) et essentiel pour nous, entretenir les rapports personnels et les liens solides créés avec les musiciens qui nous entourent et soutiennent.

La société Savarez est restée l’une des rares entreprises familiales françaises dans le secteur de la musique, comment expliquez-vous le succès rencontré par vos cordes et quel est le secret de votre savoir-faire ?

Nous sommes restés une entreprise familiale française grâce à une gestion très prudente, à un énorme travail dans tous les domaines pour offrir de vraies nouveautés qui doivent impérativement apporter des caractéristiques nouvelles reconnues et appréciées. Cela sous-entend des recherches ininterrompues, soit demandées par les musiciens, soit générées par notre laboratoire. Je pense que le succès de ces recherches et l'immense souci de maintenir une absolue qualité de nos cordes nous ont conféré une image de maîtrise de nos technologies et de notre capacité à innover positivement.

Notre stratégie n'est pas la recherche d'une production de masse mais le respect de la règle absolue de maintenir le niveau de qualité quitte à limiter la production en quantité. C’est un tel grand moment d’écouter un magnifique concert joué sur des cordes à peine sorties du laboratoire et validées par de grands talents.

Depuis maintenant deux ans, Savarez est mécène du Festival de Toulouse, pourriez-vous nous présenter l’origine de cet engagement ?

Je connais bien les problèmes posés aux organisateurs de festivals, de concerts, de concours d'interprétation. L'aspect financier est un problème crucial. L'activité musicale vivante est pour nous essentielle. Les organisateurs ont des problèmes et les musiciens ont aussi des problèmes. Or si le niveau musical est en progression forte ce qui est absolument remarquable, il faut que les événements musicaux existent, autant pour permettre aux musiciens de s'exprimer que pour participer au développement de la culture musicale et offrir aux amateurs de musique la possibilité d'entendre le meilleur d'un musicien, le meilleur d’une œuvre.

Déterminant : le Festival de Toulouse a le grand mérite d’allier d'excellents amis comme Julien Martineau, son équipe, des musiciens de l'orchestre, une très belle organisation, des choix musicaux intéressants à très haut niveau de qualité musicale. Beaucoup de compliments, je dois préciser qu'ils sont sincères.

Vous collaborez avec des musiciens issus d’univers musicaux très différents (classique, jazz, rock…) et assistez à des concerts dans le monde entier. Quel regard portez-vous sur l’engagement croissant des entreprises privées en faveur de la culture ?

Selon nos expériences l'engagement des entreprises en faveur des actions culturelles n'est pas uniforme. Certaines entreprises s'engagent pour des motivations strictement culturelles et par vocation de soutenir des actions qui permettent l'accession à la culture et à combattre une éventuelle diminution de l'intérêt de certaines personnes pour la culture. D'autres entreprises voient un rapport direct entre leurs produits et un événement culturel, musique, peinture etc. Leur investissement financier est un avantage réciproque. Un autre exemple est une entreprise qui voulait apporter à son image trop technologique une coloration culturelle et d'une certaine façon intellectuelle en communiquant très fortement sur leur implication en faveur de la culture. Un autre exemple : une société impliquée dans la production et la vente de grands crus de Bordeaux a acheté plusieurs instruments dont un violon Stradivarius. Ces instruments ont été mis à la disposition de très bons musiciens locaux, solistes d'orchestres pour qu'ils puissent assumer des performances du plus haut niveau.

Cependant beaucoup de festivals nous font part de nombreux désistements de sponsors privés et publics. D’autres, en revanche, bénéficient de soutiens solides. Une situation globale qui verrait un intérêt croissant des entreprises pour la culture ne peut être que très positif si elle permet de la diffuser largement et de donner accès au plus grand nombre aux différentes activités culturelles qui parfois ont de la peine à survivre.

En novembre dernier, vous avez eu la gentillesse de présenter votre histoire à un groupe de jeunes Compagnons du devoir dans le cadre de notre programme de Mécénat Solidaire. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?

J'étais très heureux d'être invité à intervenir face à des jeunes Compagnons du devoir. Etant déjà en relation avec plusieurs de leurs anciens, j'ai pu juger leurs qualités humaines, leur fidélité en amitié et en soutien. J’ai retrouvé ces qualités humaines à l’occasion de nos échanges et du dialogue qui s'est établi à un excellent niveau. Ces jeunes compagnons avaient déjà beaucoup de choses pertinentes à dire et ont montré une sérieuse maturité. Objectivement je suis ressorti de la réunion avec un moral renforcé d'avoir vu autant de motivation et de bonne volonté dans des entretiens enrichissants et chaleureux pour les deux parties.

Sur un plan plus personnel, pourriez-vous nous partager votre souvenir musical le plus marquant ?

Mon père m'a emmené très tôt écouter de très bons concerts. Permettez-moi de mentionner au moins 3 souvenirs marquants et déterminants pour ma passion pour la musique.

Ce n'était pas mon premier concert mais un concert d’Alirio Diaz entendu à l'âge de 12 ans environ a provoqué une émotion particulièrement forte et déterminante. Une immersion dans la musique d'Amérique du Sud magnifiée par l'interprétation inspirée du Maître qui enrichissait les œuvres.

Un autre souvenir marquant et intéressant, un an plus tard accompagné de mon père j'ai assisté à un concert entier de Quatuors d’Alban Berg. Je suis sorti un peu perturbé et pas convaincu par la musique contemporaine au contraire. La suite est passionnante chaque fois que j'écoute de la musique contemporaine et en particulier Alban Berg ce souvenir me revient, je souris intérieurement en pensant que j'avais renoncé à la musique contemporaine et que maintenant elle représente un intérêt très fort allant jusqu'à acheter plusieurs CD pour les écouter à loisir.

Un autre concert marquant parce qu'il s'agit d'une surprise inattendue. Arrivant à Tokyo des amis m'ont proposé d'assister à un concert, par une chance improbable pour moi, ils avaient une place libérée. À l’arrivée dans la salle, je découvre que j’allais entendre Mstislav Rostropovitch interpréter le Concerto pour violoncelle de Lutoslawski. Inimaginable. Une séduction et l'achat d'un CD.

Un mot pour terminer ?

Une pensée étrange qui me vient souvent. Lorsqu'il m'est donné de ressentir un sentiment de plaisir et de puissantes émotions à l'écoute d’un concert, d'une interprétation, d'un nouveau répertoire, d’un musicien de grand talent, je sors de la salle et me demande comment je pourrais amener les personnes que je rencontre et qui n'aiment pas la musique à évoluer pour enfin ressentir ces émotions qui perdurent longtemps.

 

Festival de Toulouse
11
juillet
2024