Interview - Guillaume Jehl


Avec le soutien de l'Association Aïda, les musiciens de l'Orchestre national du Capitole se produisent dans les plus grandes salles d'Allemagne du 4 au 13 mars, sous la direction de leur nouveau Directeur musical désigné, Tarmo Peltokoski. Nous avons eu le plaisir de rencontrer Guillaume Jehl, trompette solo de l'Orchestre Philharmonique de Berlin et ami de René-Gilles Rousselot (trompette solo de l'ONCT), à l'occasion de notre passage dans cette magnifique institution musicale.

Guillaume Jehl

Guillaume Jehl, vous êtes trompette solo de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

J’ai commencé la trompette à l’âge de huit ans à l'école de musique d'Obernai, en Alsace, avant d’intégrer le conservatoire de Mulhouse, dans la classe de Gilbert Petit. Cette rencontre a été déterminante dans mon parcours musical. Il n’y avait aucun musicien professionnel dans ma famille, c'est lui qui m'a encouragé à suivre cette voie. Il en a parlé à mes parents qui m'ont soutenu. C'était assez courageux de leur part car c'était vraiment un saut dans l'inconnu pour eux. 

À l’âge de 16 ans, je suis entré au CNSM de Paris dans la classe de Clément Garrec. Trois ans après, en 1999, j'y ai passé mon prix et ai obtenu mon premier poste : deuxième trompette au sein de l'Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine. Ont suivi les postes de deuxième trompette à l'Orchestre national de France (2000), trompette solo de l'Orchestre symphonique de Bâle (2001) et trompette solo de l'Orchestre national de France (2007). En 2009, j'ai intégré l'Orchestre Philharmonique de Berlin en tant que deuxième trompette. Ce n'est qu'en 2018 que j'ai remporté ma place de trompette solo. 

Tout cela n'était évidemment pas du tout prévu. J'ai eu la chance de rencontrer, partout où je suis allé, des gens passionnés qui m'ont fait progresser et m'ont motivé. À Bâle par exemple, j'ai eu pour collègue à l'orchestre Marc Ullrich, un trompettiste fabuleux, réellement passionné, qui joue aussi bien de la trompette naturelle que du jazz. C'est devenu bien vite un ami. Il a été (et est toujours) très inspirant pour moi.
 

Est-ce que vous enseignez et est-ce que vous avez une activité de chambriste ou de concertiste en plus de votre métier de musicien d’orchestre ?

J’enseigne depuis 2002 à la Musikhorschule de Bâle, en tant que professeur invité. Depuis 2018, je donne également des cours dans le cadre de l'Académie Karajan (programme de formation au métier de musicien d'orchestre et d'insertion professionnelle porté par le Berliner Philharmoniker).

En ce qui concerne la musique de chambre et les concerts en tant que soliste, le fait de faire partie de l'Orchestre Philharmonique de Berlin offre de nombreuses possibilités. Nous avons un ensemble de cuivres de l'orchestre mais il m'arrive aussi régulièrement de jouer avec des formations plus classiques (cordes et vents). Et bien sûr, j'ai la chance de faire partie du quintette Turbulences : une équipe 100 % française avec Antoine Dreyfus (cor) et Antoine Ganaye (trombone), tous deux solistes à l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Fabien Wallerand (tuba solo de l'Orchestre de l'Opéra de Paris) et David Guerrier, mon nouveau collègue trompette solo à l'Orchestre Philharmonique de Berlin. C'est un grand plaisir de jouer dans cette magnifique formation !
 

L’Orchestre Philharmonique de Berlin fait partie des orchestres les plus prestigieux du monde et est invité à se produire très régulièrement à l’étranger. L’Orchestre se déplacera notamment au Japon cet été sous la direction de Gustavo Dudamel. Comment appréhendez-vous les tournées et qu’est-ce que cela apporte selon vous aux musiciens ?  

Généralement, une semaine typique à Berlin se déroule ainsi : deux jours de répétitions, une générale et trois concerts. Les tournées nous permettent de jouer beaucoup plus souvent un programme, de le faire évoluer sur une plus longue période. C'est très intéressant musicalement. Une tournée permet également de développer le collectif : on reste ensemble, on voit nos collègues en dehors du cadre habituel, on visite de nouvelles villes, de nouvelles salles auxquelles il faut s’adapter. Cela nous donne aussi l’occasion de faire des masterclass, de rencontrer de nouveaux élèves, de se faire une idée du niveau dans les différents pays visités...
 

La trompette française est particulièrement représentée au sein du pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Berlin puisque vous avez été rejoint il y a peu par David Guerrier qui occupe également le poste de trompette solo. Quelle est la particularité de l’école française de trompette ?

Pour moi, une des caractéristiques de l'école française de la trompette, c'est l'attention portée à l'articulation, précise et variée. C'est également une école de virtuosité où l'on travaille beaucoup les concertos et on développe un jeu brillant et souple, qui plait beaucoup en concours. 

Mon nouveau collègue trompette solo à Berlin David Guerrier est, comme moi, passé par cette école française. Mais nous avons également tous les deux étudié, à des périodes différentes, avec Hans Gansch, qui était trompette solo de l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Hans est vraiment une référence, il est une de nos idoles, et c'est sans aucun doute également grâce à son enseignement que David et moi avons remporté nos places à Berlin.
 

René-Gilles Rousselot, trompette solo de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, a lui aussi eu l’opportunité de jouer avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur votre rencontre et sur vos souvenirs musicaux communs ?

René-Gilles et moi venons tous les deux d’Alsace, de deux villages assez proches. Lorsque j’ai commencé à jouer dans les églises de la région pour des cérémonies de mariage ou des concerts trompette et orgues, les organistes me parlaient tous d’un trompettiste avec qui ils avaient déjà joué tel ou tel morceau. Ils me donnaient une copie de la partition sur laquelle se trouvait presque toujours le nom de René Gilles. C’est comme ça que j'ai fait indirectement sa connaissance. Un jour, il m’a contacté pour me demander si je voulais jouer le Concerto pour deux trompettes de Vivaldi en concert avec lui. Après une répétition assez chaotique qui nous fait toujours sourire, lorsque nous y repensons, le concert s’est finalement très bien passé, et ça été le début de notre amitié.

Je suis allé le voir et l'écouter quelques fois à Toulouse et il est effectivement venu jouer une série à Berlin. C’était une très belle semaine et j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer à ses côtés à l’orchestre ! Après les répétitions et les concerts, nous passions nos soirées à essayer des instruments dans la grande salle de la philharmonie jusqu'à très tard dans la nuit (il est vrai que nous profitions de l'occasion pour déguster quelques verres de vin d’ Alsace…). On ne se voit pas assez souvent mais ce sont toujours de très bons moments.
 

Comme ici à Toulouse, un Cercle d’entreprises a été créé pour soutenir activement l’excellence artistique de l’Orchestre Philharmonique de Berlin mais aussi l’innovation et les actions sociales portées par l’institution. En tant que musicien, quel est votre rapport au mécénat d’entreprises ? Le modèle allemand diffère-t-il du modèle de mécénat français ? 

Le mécénat privé représente moins de 10 % du budget de l’orchestre. Mais l’Académie Karajan et notre département «  Éducation » sont, tout comme Aïda, financés entièrement par du mécénat. C'est donc un levier qui permet la mise en place d'actions très importantes. La plate-forme Digital Concert Hall, unique au monde, qui retransmet en direct tous nos concerts (et les archive), a par exemple été créée grâce au soutien d’entreprises privées. Un bon exemple d'une grande réussite rendue possible par le mécénat.
 

Pour terminer, auriez-vous un souvenir de concert particulièrement marquant ?

Oui, des souvenirs liés à des lieux qui sont pour moi mythiques : mon premier concert au théâtre des Champs-Élysées à Paris, la salle où a été créé Le Sacre du printemps de Stravinsky. J'avais vingt ans et j'étais vraiment sur un petit nuage. Un autre souvenir très marquant est la première fois où j'ai joué la Cinquième symphonie de Mahler avec le Berliner Philharmoniker à la Philharmonie de Berlin. J'étais évidemment tendu mais très enthousiaste, cela me renvoyait aux enregistrements de Karajan que j'écoutais lorsque j'étais étudiant, à tous les concerts ayant eu lieu dans cette salle magnifique…c'est vraiment un souvenir inoubliable !
 

Un grand merci à Guillaume Jehl !
 

Orchestre
10
Mars
2025