Histoire de la Musique Symphonique - Épisode 1

L'âge des balbutiements....

Préhistoire de l'orchestre moderne

Ensemble clairement structuré et précisément défini de musiciens, somme d’instruments qui ont eux-mêmes connu de rapides évolutions dans leur facture comme dans la façon dont on les jouait, l’orchestre tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est pas né en un jour ! Avant d’en arriver à ce bel équilibre entre pupitres de cordes, de bois, de cuivres et de percussions, l’orchestre, comme tout organisme vivant, est passé par de nombreuses étapes avant de trouver son point d’équilibre. C’est en quelque sorte des prémisses de sa naissance que nous allons vous parler aujourd’hui.

Les aubes de la Renaissance

Avec son goût pour le « retour à l’antique », la Renaissance voit se développer un art musical nouveau, qui prend de plus en plus ses distances d’avec la musique religieuse, tout en lui empruntant certains de ses codes. Jusqu’alors prédominante, la musique vocale, accompagnée ou a capella, commence à faire un peu de place à une musique instrumentale qui s’autonomise et pour laquelle des œuvres spécifiques sont composées.

Si l’on schématise, l’orchestre (qui n’en est pas encore un !) va chercher à imiter la musique vocale. Dans cette dernière, les instruments jouent « la base » (schématiquement, ce que l’on appelle la « basse continue », jouée par plus ou moins d’instruments, clavecin, luth, théorbes etc. selon la richesse du lieu où l’on se produit), tandis que les voix chantent les mélodies. C’est en cherchant à imiter cette structure que les ensembles instrumentaux inventent de nouveaux modes d’expression. Le petit groupe de musiciens donne à tour de rôle la parole à l’un des siens, se contentant de l’accompagner. Lui, pourra faire valoir sa virtuosité, sa capacité à moduler, à ornementer, à improviser aussi… Cette façon de mettre en regard un soliste et un ensemble donnera naissance au style dit « concertant » (d’où le nom de concerto).

Une autre technique consistait à faire dialoguer plusieurs groupes de ce même ensemble, et l’on parlait alors de Concerto grosso. Sans chercher à entrer ici dans le détail, remarquons que ces petits ensembles instrumentaux étaient essentiellement composés de cordes (violons, altos, violoncelles et contrebasses), avec quelques bois (basson, hautbois – la clarinette, d’invention tardive, ne s’imposera que dans la 2e moitié du XVIIIe siècle) et/ou cuivres selon la disponibilité.

Le Concert, Gerard van Honthorst, 1623

Le Concert, Gerard van Honthorst, 1623

L’âge baroque

Même s’il commence dès le milieu du XVIe siècle, on date habituellement du tout début du XVIIe siècle la naissance de l’esthétique dite « baroque ».
A force de se chercher des modes d’expression nouveaux, la musique aura pu paraître aux tenants de la rigueur historique un peu trop irrégulière. Belle, mais irrégulière. Or, pour qualifier les superbes perles importées de leurs comptoirs lointains, les commerçants portugais utilisaient le terme de « barroco ». De la perle à la musique, l’analogie était trop belle et trop facile : la musique nouvelle serait donc « baroque ».
Exubérante, osant tout, cherchant l’expressivité la plus libre, la plus inattendue aussi, cette esthétique nouvelle va profiter de tous les moyens d’expression à sa disposition : la voix et les instruments de musique, alors eux aussi en pleine évolution. Et c’est à cette période que la musique instrumentale va prendre son plein essor.

Un outil de prestige

A la toute fin du Moyen Âge, les cours princières et, par imitation, les grandes familles de la noblesse, commencent à employer des musiciens pour égailler leurs repas et autres festivités. Très vite, avec l’éclosion d’une société de plus en plus sensible aux valeurs humanistes, ces petits ensembles musicaux deviennent un élément de distinction entre familles rivales.

La quête d’un prestige toujours plus grand force à l’accroissement des effectifs instrumentaux. Le roi de France ne pouvant se laisser surpasser par ses sujets, même en un domaine qui pourrait sembler aussi frivole, décide de se doter très officiellement d’un ensemble de musiciens : les « Vingt Quatre violons du roi » (aussi connus sous le nom de « Grande Bande ») voient ainsi le jour en 1577 en France, à la cour d’Henri III (1551-1589). De fait, chaque principauté ou royauté possède désormais ses propres musiciens, plus ou moins structurés. On parle de « chapelles » pour la musique religieuse, des « écuries » pour les musiques liées à la chasse, certes, mais aussi à la guerre et aux événements militaires et diplomatiques (réceptions officielles etc.) et enfin, de la « chambre » pour les ensembles spécialisés dans des musiques d’agrément – banquets, fêtes, bals… Ces ensembles à géométries variables instaurent rapidement des usages qui varient selon les lieux, mais une idée de l’institution « orchestre » commence à se fixer : pupitres, hiérarchie entre les musiciens, carrières, administration pour gérer les instrumentistes...

Étrangement, les querelles de clocher font que la France, qui avait été à la pointe de bien des recherches musicales aux XVe et XVIe siècles, semble réticente à adopter ce genre de musique qui se développe surtout en Italie, mais aussi dans les pays germaniques et en Angleterre. C’est qu’à cette époque, l’art est une arme diplomatique et la résistance d’un pays à un style qu’il considère comme typique d’un autre pays est un signe politique fort ! Et pourtant, les artistes, on le sait, voyagent beaucoup et aiment à se nourrir des découvertes qu’ils font chez leurs confrères de l’Europe entière.

Etude violon François Laurens

De la Sinfonia à la Symphonie

C’est l’Italie qui invente et impose le terme de « sinfonia ». A l’origine, ce mot désignait toute composition musicale requérant un grand nombre de voix (« sin » est un préfixe tiré du grec ancien : « avec », « ensemble », et « fonia » du verbe – également grec – qui signifie « sonner », « émettre du son » => « sonner ensemble », ce qui, avec des racines latines, donne très exactement : « consoner » et « consonance »). Mais le terme ne s’applique pas encore à une forme musicale précise, comme ce sera le cas à partir du milieu du XVIIIe siècle. Pour l’instant, la Sinfonia peut qualifier à la fois une pièce pour ensemble vocal ou un morceau musical nécessitant la présence d’un certain nombre d’instrumentistes. C’est d’ailleurs ce terme de Sinfonia que Bach utilise pour les interludes instrumentaux de ses Cantates par exemple.

Les compositeurs d’opéras l’utilisent de leur côté pour les pages purement instrumentales qui leur servent à « ouvrir » leurs opéras – et le terme évoluera assez vite en « Ouverture » ou « Prélude » par la suite. Mais restons encore un peu avec Bach : quand il compose pour l’orchestre uniquement, il préfère utiliser les termes de « concerto » (pensons à ses sublimes Concertos brandebourgeois) et « ouverture » (c’est en effet le mot qu’il utilise pour ce que nous appelons aujourd’hui ses Suites pour orchestre). En France, on retiendra surtout Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), qui nomme certaines de ses pièces pour ensembles instrumentaux Symphonies pour un reposoir ou encore Symphonie pour le Jugement de Salomon. Le mot est là, et peut donc commencer à entamer son petit bonhomme de chemin, destiné à une prestigieuse descendance.

Les grands noms de la musique instrumentale de cette époque 

A propos de l'auteur : 
Jean-Jacques Groleau

Agrégé de lettres classiques et dramaturge, Jean-Jacques Groleau a dirigé l'administration artistique de plusieurs grandes institutions nationales. Ancien collaborateur de DiapasonClassicaForumopéra, il a collaboré à divers ouvrages d'histoire musicale (Tout Mozart, Tout Bach, Tout Verdi, L'Univers de l'Opéra). On lui doit également des biographies de Rachmaninov et de Vladimir Horowitz (Actes Sud).

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08
avril
2021